BIBLIOGRAPHIE SAVOYARDE
Le voyage de Francis Colonel
Chambéry. Actuellement, toute une floraison de poètes s'épanouit à Chambéry. Il faut s'en réjouir puisque les poètes sont à la fois l'honneur et l'espoir de l'humanité. Les Éditions du Verbe Libre en particulier regroupent des inspirations juvéniles qui sont vigoureuses et sympathiques. Francis Colonel vient d'y publier quelques-unes de ses compositions sous le titre accrocheur « Du vent dans les godasses ». A côté de celui qui passait dans les branches de sassafras d'Obaldia, ce vent-là porte un humour plus grinçant, plus frondeur, mais n'en possède pas moins le souffle d'un lyrisme qui sonne, frappe et touche juste. Francis Colonel place son discours dans le défi gouailleur d’un Prévert ou d'un Vian, ce dernier étant d’ailleurs nommément cité dans le poème liminaire de ce recueil qui se lit comme on boit à une source vive. Refusant de marcher sur ses ailes de géant, ce nouvel albatros a choisi l'immobilité pour effectuer ses périples en imitant —probablement sans le vouloir— Xavier de Maistre dans sa chambre. ll dit lui-même qu’il a bourlingué dans tous les livres et vraisemblablement aussi dans toutes les expressions de l’art. Dans son « bouquet des mots sur des tonnes de scories », on rencontre encore pèle—mêle des noms qui deviennent étonnants dans des associations ou rapprochements inattendus: Homère, ses enfants Ulysse et Pénélope, le Christ et le Saint-Père voisinent avec Rimbaud,Queneau, Philips, Michelin, Arthur Martin et même la mère Denis et Karl Marx. Il y a aussi des oiseaux comme dans Maldoror, Braque et Saint-John Perse. Enfin, on y trouve d’autant plus aisément le rhum de Blaise Cendrars que c’est surtout à ce dernier que l'on pense dans ce foisonnement où Francis Colonel se régale à nager en souplesse, faisant ruisseler le vocabulaire avec une joyeuse verve pour cueillir parfois un terme et nous le jeter comme une fleur ou comme une pierre. Sous les réminiscences, inconscientes ou non, il y a un don certain et surtout l'émotion d'un cœur qui sourd tout-à-coup en un élan de tendresse : « Princesse, je suis là, tout près, Mais mon cri ne pourra jamais déchirer ces murs ». Ecoutons la voix de Francis Colonel, elle est de celles qui éclairent l’existence. Et souhaitons bon vent à ce voyageur qui contribue à éclaircir le cas échéant mais sait toujours voir les nuages bleus au—dessus de toutes les pollutions. Henri Planche D.L. sept 1980